Coup de projecteur sur le Brésil : “Des chamanes contre le Covid-19”

Ricardo Arnt • Jun 09, 2021

Vaccinating indigenous people in Brazil against coronavirus requires a vast logistical operation. Some communities have taken the initiative to tackle the disease into their own hands.

Alors que la campagne nationale de vaccination contre le Covid-19, entamée tardivement par le gouvernement fédéral en janvier, ne comptait au 1er avril que 11% d’individus immunisés sur les 211 millions d’habitants au Brésil, 73% de la population majeure des 6000 villages indigènes avait d’ores et déjà reçu les doses nécessaires.


Pour atteindre ce résultat, un vaste et complexe plan logistique impliquant 14000 professionnels de santé, via transport routier, fluvial et aérien a été mis en place par le biais d’un effort coordonné entre le
Secrétariat spécial pour la santé indigène (SESAI) rattaché au Ministère de la Santé, le ministère de la défense, les forces aériennes, la Fondation Nationale Indigène (FUNAI), ainsi que les représentants chargés de la santé publique dans les municipalités et les états.

Des 755000 indigènes répartis au sein de 34 “districts sanitaires spéciaux indigènes” et enregistrés auprès du SESAI, 298000 avaient déjà reçu une première dose du vaccin et 224000 d’entre eux en avaient déjà reçu deux. L’inclusion de ces populations aux groupes prioritaires du plan national d’immunisation se justifie par des critères épidémiologiques, un mode de vie où la promiscuité est permanente et des difficultés d’accès aux services de santé.


Ainsi, au 1er avril de cette année, les quatre districts indigènes comptant le plus grand nombre d’individus vaccinés étaient ceux d’Alagoas et Sergipe (91% de la population indigène immunisée), Potiguara (85%), Minas Gerais e Espírito Santo (83%) et Ceará (82%).

Toutefois, et malgré leur succès, ces opérations ont rencontré de sérieux problèmes. L’organisation non-gouvernementale APIB (Articulation des peuples indigènes du Brésil) a engagé une action judiciaire civile auprès des instances fédérales afin d’exiger des mesures urgentes pour protéger les populations indigènes au sein des villages non seulement, mais aussi des groupes urbanisés. Et en mars, alors que la distribution et l’application de vaccins était en pleine phase d’accélération, la Cour Suprême recevait la plainte, critiquait les “actions désordonnées du gouvernement fédéral ” et déterminait que la priorité soit donnée à l’immunisation des populations indigènes vivant dans les villes et les territoires qui n’ont pas encore été reconnus.


Dans la pratique, les populations indigènes urbaines - dont le nombre est incertain - dépendent directement des actions conventionnelles du SUS (Sistema Unificado de Saúde), le réseau public national de services de santé, couvrant gratuitement tous les citoyens brésiliens dans plus de 4000 municipalités du pays. Et plus particulièrement en ce qui concerne la campagne de vaccination contre le Covid-19, les chronogrammes définissant les groupes prioritaires en fonction de l’âge, des éventuelles comorbidités ou de l’exposition des professionnels au virus sont administrés localement par les agents des services municipaux de santé. Cependant, du fait de diverses formes de discrimination et de l’aspect souvent précaire des structures locales offertes par le SUS, les populations indigènes ont beaucoup plus de mal à profiter de ces services que le reste de la population.

Ces derniers mois, plusieurs témoignages ont fait le récit de mauvais traitements. Dans l’État de Roraima par exemple, selon le quotidien
Folha de Boa Vista, 25000 doses de vaccins destinées à ces populations ont été réquisitionnées par les autorités locales afin de les distribuer dans la capitale de l’État. Au Mato Grosso également, c’est le site Brasil de Fato qui mentionne le détournement de 320 doses destinées aux habitants du territoire indigène du Xingu. Dans l’État d”Amazonas, c’est le gouverneur qui a demandé l'autorisation du gouvernement Fédéral pour pouvoir réallouer 60000 doses réservées aux indigènes afin d’immuniser d’autres franges de la population, en alléguant que de fortes pluies avaient rendu les routes menant à ces territoires impraticables. Enfin, dans l’État du Mato Grosso do Sul, c’est le tribunal fédéral de Campo Grande qui a dû se manifester pour exiger que le SESAI donne la priorité aux indigènes vivant dans la capitale de l’État.

Le SESAI a comme principale fonction l’apport de services basiques de santé au sein des territoires Indigènes effectivement légalisés, et agit en partenariat avec les États et les municipalités afin de garantir des traitements plus adéquats quant aux maladies graves et aux procédures de soins plus complexes. De fait, les campagnes de vaccination urbaines mettent en évidence un autre problème pour les indigènes, celui de leur identification.



An indigenous old man is vaccinated by a male nurse.

Military officers from the North Conjunct Command supported vaccination against Covid-19 in the Mukuru indigenous village, located in a remote area within the WAIÃPI Indigenous Land, in Amapá.

À Brasilia, c’est à l’occasion d’une récente rencontre du front parlementaire pour la défense des droits indigènes (Frente Parlamentar de Defesa dos Direitos Indígenas) que le représentant du SESAI, Robson Santos da Silva mentionnait la pratique de “‘l’auto-déclaration”,méthode en vigueur utilisée pour recenser les populations indigènes habitant dans les villes. À partir du moment où n’importe qui peut “s’auto-identifier” indigène, les fraudes dans les calendriers de vaccination tendent à se multiplier.


Selon Silva, “ les actions légales ne sont jamais débattues, elles sont juste exécutées. On ne sait toujours pas comment recenser [la population indigène]. Il faut trouver une solution. Des tests ADN ? Des analyses de sang ? La compilation de données généalogiques ? ” Pour lui, le SESAI n’a rien à se reprocher et l‘accusation qui lui est faite selon laquelle l’organisme n’a pas mis en place de plan solide pour lutter contre la pandémie chez les indigènes est absolument infondée. 


"Un grand nombre d’initiatives du SESAI liées au support des populations indigènes et proposées par les auteurs de l’action civile menée contre nous ont déjà été prises," ajoute Silva. "La plainte sous-entend que rien n’a été fait.” Pour l’APIB, les alternatives proposées afin d’éviter que les populations indigènes urbaines continuent de subir des discriminations pour accéder au SUS sont inacceptables. Pour le moment et bien que ces populations puissent toujours se rendre dans les “Districts Sanitaires Spéciaux Indigènes” en alléguant des “ difficultés à se faire vacciner” dans les villes, des problèmes bureaucratiques rendent la démarche difficile. Et surtout, le devoir qu’a l’État de porter assistance aux populations indigènes des villes demeure irréalisable.
Pour pouvoir invoquer des “difficultés à se faire vacciner”, un indigène doit localiser un “District Sanitaire Spécial” et s’y rendre par ses propres moyens pour décrire sa situation et faire valoir son droit à l’immunisation. Pour y arriver, celui-ci doit donc être suffisamment autonome, savoir parler couramment le portugais et avoir quelques notions minimales du fonctionnement des services de santé. Et alors que le Plan National d’Immunisation reconnaît aux populations indigènes le statut de groupe prioritaire et immunise avec un relatif succès ces populations dans les villages, l’accès au vaccin est beaucoup moins évident pour les indigènes des villes où un modèle d’assistance spéciale a laissé place à un modèle d’assistance “complexe”.


Mais ce n’est pas tout : Depuis l'émergence de variants, le nombre de décès liés au Covid-19 a dramatiquement augmenté. Le 1er avril ont été enregistrés au Brésil 3600 décès en une seule journée ; quant au nombre total de morts depuis le début de la pandémie, il avait atteint la marque de 325000. D’un autre côté, toujours selon le SESAI, on comptait 622 décès d’indigènes. Un chiffre qui d’après l’APIB, serait bien plus élevé.


Avec un gouvernement fédéral fermant les yeux sur une bonne partie des impacts de la pandémie et une campagne de vaccination qui peine à atteindre sa vitesse optimale, certaines communautés ont décidé de barrer la route au virus. Sur le territoire indigène du Xingu, par exemple, les 900 Kuikuru - disséminés sur huit villages - ont déterminé la mise en place du confinement de leur population afin d'empêcher le contact avec d’autres communautés environnantes, ont lancé des campagnes de collecte de fonds, ont fait l’acquisition d’équipements et de médicaments, et ont dépêché sur place un médecin et une infirmière. Chez les Kuikuru, on dénombre à ce jour 160 cas de Covid-19, et aucun décès.

Les habitants ont instauré leur propre “Protocole Kuikuru”. Les patients infectés par le coronavirus sont transférés dans une maison d'Isolation, maintenue par la communauté. Les pajés (chamanes) apportent quant à eux leurs savoirs ancestraux en faisant usage des plantes médicinales. On a pu dénoter au début une certaine résistance à l’instauration d’un confinement provenant d’une partie des habitants, mais quand le virus a surgi, l’adhésion aux protocoles mis en place a vite pris le dessus. Plus tard, avec l’arrivée par air et par eau de la SESAI et des vaccins, toute la communauté majeure a été vaccinée.
Au même moment, dans la municipalité de São Gabriel da Cachoeira, en Amazonie - la ville la plus indigène du pays (77% de ses 46000 habitants) - les délais de vaccination pour la population urbaine native génèrent des préoccupations au sein de la communauté. Ainsi, la fédération des organisations indigènes de l’Alto do Rio Negro (FOIRN) tente de mettre la pression sur le gouvernement d’État pour faire en sorte d'accélérer les opérations de vaccination pour les indigènes des villages, mais aussi pour ceux des villes.


Des 86 décès liés au Covid-19 à São Gabriel da Cachoeira - dépourvu d’un service de soins intensifs dans son hôpital - 79 étaient des indigènes urbains. Il est en tout cas certain que les flux inter-communautaires de ces populations distribuées au sein de centaines de villages aux 23 ethnies différentes, et sur un territoire de près de 109 000 km2 ne facilitent pas la tâche.
Aujourd’hui, étant donné que les individus de moins de 18 ans n’ont pas encore pu être vaccinés au Brésil ou ailleurs, c’est toute la jeunesse indigène des villages dans son ensemble qui se retrouve dans une situation particulièrement vulnérable vue la situation en cours. Il paraît probable que si le Brésil n'accélère pas le rythme de sa campagne sur l’ensemble du territoire et ne met pas les bouchées doubles pour parvenir au plus vite à la production d’un vaccin brésilien, d’autres variants du virus pourraient apparaître...

The community created its own “Kuikuru Protocol”. Patients infected with the coronavirus were transferred to an “Isolation House”, supplied by the community. The shamans helped the service by administering medicine as well as indigenous medicinal herbs. At first, there was resistance against isolation. When the virus started to spread, adherence to quarantine protocols increased. With the arrival of SESAI planes and boats with vaccines, all eight communities were vaccinated.


In São Gabriel da Cachoeira, in Amazonas—the city with the largest indigenous population in the country (77 per cent of the 46,000 inhabitants)—the delay in vaccinating the urban indigenous population has the community worried. The Federation of Indigenous Organizations of Alto do Rio Negro (FOIRN) is pressing the state government to speed up the vaccination of both village and urban indigenous. 


Of the 86 deaths by Covid-19 in São Gabriel da Cachoeira—which does not have an Intensive Care Unit in its hospital—79 were urban indigenous people. The flow of indigenous people between the city and the hundreds of communities—of 23 different ethnicities in a municipality over 109,000 square kilometres in area—increases the contamination risk.


Since only people over the age of 18 are being vaccinated, the contingent of youth and children in the indigenous villages are vulnerable to the ongoing pandemic. If Brazil cannot expedite country-wide immunization and vaccine manufacture, other coronavirus variants may appear.

Coup de projecteur sur le Brésil

Tous les mois, Story Productions propose un coup de projecteur sur le Brésil avec Ricardo Arnt, auteur et journaliste brésilien de plus de 40 ans d’expérience. Ancien rédacteur en chef pour la revue mensuelle Planeta et pour la chaîne de télévision Bandeirantes TV, il a aussi été éditeur pour la revue Exame, le quotidien Folha de São Paulo, mais aussi pour la revue Superinteressante et les sujets à l’international du journal du soir à TV Globo.

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