Coup de projecteur sur le Brésil : “Problèmes du passé, problèmes du futur”

Ricardo Arnt • 9 January 2021

La construction de lignes de transmission électrique au-dessus de terres indigènes entre Manaus et Boa Vista, au Nord de l’Amazone, exacerbe les litiges entre le Gouvernement brésilien et les Waimiri-Atroari

La pression sur les deux mille indigènes de l'ethnie Waimiri-Atroari est extrêmement forte. En effet, le gouvernement brésilien et les compagnies d’énergie viennent d’autoriser la construction de lignes de transmission électrique afin de connecter Manaus, la capitale de l’état d’Amazonie, à Boa Vista, capitale de l’état de Roraima, en coupant en deux les terres indigènes protégées sur une longueur de 122 kilomètres. Le projet consiste en la construction de 250 pylônes à haute tension à l'intérieur des terres indigènes et tout au long de la route BR-174, construite par le gouvernement militaire brésilien en 1974.


Pour ce faire, la compagnie chargée de ce projet colossal, le groupe Transnorte Energia, filiale de la compagnie publique Eletronorte a proposé d’effectuer le paiement d’une indemnité de 50 millions de reals (approximativement 9 millions USD) qui permettrait de mitiger les impacts environnementaux et d’aider au financement de programmes de compensation. Les Waimiri-Atroari ont refusé l’offre mais se disent ouverts à la négociation.

Pour le président brésilien Jair Bolsonaro, cette ligne de transmission est une question qui relève de l’intérêt national. Aussi à Brasília, le parlement prépare un projet de loi afin d’autoriser systématiquement que les projets de construction de lignes à haute-tension puissent traverser - au besoin - des terres indigènes, en retirant à ces peuples natifs leur pouvoir de veto, mais aussi en supprimant l’obligation qu’avaient jusque là l’État et les compagnies chargées de ces projets d’infrastructure de mettre en place des consultations publiques auprès des communautés locales impactées, comme le stipule la constitution fédérale, par ailleurs.


Les Waimiri-Atroari occupent un territoire d’environ 25000 km2 à 150 kilomètres au nord de Manaus. En toute évidence, leur proximité avec cette ville importante est depuis longtemps la cause et l’origine des nombreux conflits endurés par eux face aux populations non-indigènes et aux compagnies minières de la région. Tout au long du 19ème siècle, notamment, quand éclatèrent de nombreux affrontements avec des chercheurs d’or ou des trafiquants de bois.


Bien plus tard, en 1967, l’armée brésilienne a entrepris la construction de la route BR-174 dans le but de relier Manaus à Boa Vista. Sans surprise, on voyait peu de temps après une intensification des tensions avec les Waimiri-Atroari, ainsi que leur plus grande exposition aux virus de tout genre. Signe de cette escalade, la mort en 1968 de Giovani Calleri, prêtre et anthropologue italien venu négocier une trêve avec le groupe indigène et tué par eux.

Ou encore en 1974, celle de l’indigéniste et membre de la Fondation Nationale de l’Indien (FUNAI) Gilberto Figueiredo dans des circonstances similaires. À la même époque, et en l’espace de dix ans, on voyait disparaître près de 2500 Waimiri-Atroari. En 1983, il n’étaient plus que 332.


En 1985, Eletronorte entamait la construction du barrage de Balbina, une centrale hydroélectrique située sur la rivière Uatumã, ce qui impliquait d’inonder près de 2360 km2 de forêt et de déloger 30 % de la population Waimiri restante. En 1987, des protestations contre l’avancée du projet ont amené l’entreprise à financer la démarcation des terres Waimiri-Atroari et à soutenir un programme d’assistance aux populations locales en matière de santé, d’éducation et de développement durable. Voyant leurs droits préservés et l’appui bienvenu de l’État, la population Waimiri se stabilisait et pouvait retrouver une certaine prospérité.


Dix ans plus tard, en 1997, le gouvernement fédéral décidait de goudronner la route BR-174. Heureusement, et notamment grâce au travail de la FUNAI, des négociations bien entreprises ont défini la mise en place d’un plan de protection environnementale et de surveillance du territoire pour garantir aux Waimiri-Atroari le contrôle des zones adjacentes à la route qui traverse leur réserve. Aussi, un fond d’investissement de 4 millions de reals (750000 USD environ) a été créé et géré par l’association communautaire indigène Waimiri-Atroari à Manaus, permettant la reconduction des programmes d’aide à la santé, à l’éducation, à l’agriculture et à la gestion de l’environnement.


De nos jours, près de deux mille Waimiri-Atroari vivent dispersés sur les 56 villages du territoire protégé. Ce sont eux qui font la surveillance des 122 kilomètres de la route BR-174 traversant ce territoire, en administrant des points de contrôle et des barrières intermittentes. En effet, les véhicules ne sont autorisés à circuler que de 6 heures du matin à 18h30, et proscrits la nuit quand les animaux ont l’habitude de chasser. Les véhicules de police, les ambulances, ainsi que les brigades anti-incendies ont quant à elles des accès illimités.


Paradoxalement, les négociations à l'arrêt en ce qui concerne le projet des lignes de transmission électrique engendrent sur la BR-174 un incessant trafic de camions-citernes chargés de diesel. De fait, d’énormes quantités de ce carburant sont quotidiennement acheminées de Manaus à Roraima afin de fournir en combustible les cinq centrales thermoélectriques extrêmement polluantes et peu efficaces de la région, puis de l’électricité à ses 600000 habitants souvent sujets à des coupures impromptues affectant également écoles, hôpitaux, ainsi que commerces et industries.

A transmission line tower in Roraima stands over a river

Dans la série de notre “Coup de projecteur sur le Brésil”

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Ces centrales thermoélectriques de Roraima consomment environ 1,2 millions de litres de diesel par jour pour un coût annuel d’un milliard de reals (plus ou moins 183 millions USD). D’un autre côté, l’installation des 720 kilomètres de lignes à haute tension entre Manaus et Boa Vista (approuvée sans autorisation environnementale en 2011) aurait un coût estimé à 2 milliards de reals (environ 366 millions USD), amortis sur deux ans. Mais pour compliquer le tout, Transnorte Energia a demandé au gouvernement le paiement d’une pénalité d’un milliard de reals pour le retard pris dans l’avancement des travaux en raison des mouvements de résistance des indigènes, faisant mine de ne pas avoir pu le prévoir.


Boa Vista est la seule capitale d'État n'étant toujours pas connectée au réseau d’alimentation électrique national Brésilien. L’État de Roraima avait l’habitude d’importer son énergie du Venezuela, mais en mars 2019, le Président Nicolás Maduro demandait l'arrêt de sa fourniture. Dès lors, la pression sur les Waimiri-Atroari n’a fait qu’augmenter. On peut citer par exemple l’intrusion sur la terre indigène en février 2019 d’un député de Roraima armé d’une tronçonneuse afin de rompre un point de contrôle à la circulation et de se faire entendre auprès des autorités pour que le gouvernement mette fin à “l’isolement de l’État”.


À la même époque, le Président Bolsonaro convoquait le conseil de défense nationale et déclarait l’état d’urgence à Roraima afin de permettre le début des travaux pour la construction des lignes de transmission. Et encore une impasse : Selon le gouverneur de Roraima, la FUNAI et l’institut brésilien de contrôle environnemental refusent de donner leur feu vert. Et jusqu’à présent, les Waimiri-Atroari n’ont accepté aucune des propositions qui leur ont été faites.

A transmission line tower in the Amazon rainforest

Coup de projecteur sur le Brésil

Tous les mois, Story Productions propose un coup de projecteur sur le Brésil avec Ricardo Arnt, auteur et journaliste brésilien de plus de 40 ans d’expérience. Ancien rédacteur en chef pour la revue mensuelle Planeta et pour la chaîne de télévision Bandeirantes TV, il a aussi été éditeur pour la revue Exame, le quotidien Folha de São Paulo, mais aussi pour la revue Superinteressante et les sujets à l’international du journal du soir à TV Globo.

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