Coup de projecteur sur le Brésil : “Sur les traces des premiers américains”

Ricardo Arnt • Mar 09, 2021

Casse-tête encore à déchiffrer, l'histoire d'origine de la population américaine inspire films et documentaires récents.

En décembre dernier, un nouveau documentaire anglais produit par Channel 4 et intitulé Jungle Mystery: Lost Kingdoms in the Amazon¹ (Les mystères de la jungle : royaumes oubliés d’Amazonie) nous fait la présentation de sites archéologiques en Colombie et relance le débat autour de la question de l’origine des peuples amérindiens.


Tout au long des dernières décennies, plusieurs découvertes auraient invalidé la théorie affirmant que les Amériques ne furent occupées par des populations humaines que depuis 13,000 ans, quand des groupes originaires de Sibérie auraient traversé le détroit de Béring alors glacé pour rejoindre l’Alaska. En effet, de nouveaux éléments viennent mettre en doute cette thèse qui bénéficiait jusqu’alors d’un certain consensus chez les anthropologues. Néanmoins, la réponse tangible et définitive à l’origine des premiers américains n’a toujours pas été trouvée. (Découvrez la bande annonce de la série Jungle Mystery ici)

Tout a commencé en 1933, quand une importante découverte allait permettre de dégager une première thèse : À Clovis, au Nouveau-Mexique, on trouvait des outils de chasse faits d’os de bison et de mammouth datés de 11500 ans. Par la suite, dans des dizaines de sites archéologiques nord-américains, on mettait la main sur des pierres taillées et autres objets manufacturés dont les datations allaient renforcer les premières et récentes hypothèses de Clovis.


Selon celles-ci, les Paléo-Americans du Nouveau-Mexique auraient été les ancêtres des peuples migrants ayant traversé l’Amérique Centrale et du Sud jusqu’en Patagonie. Ils seraient donc à l’origine des civilisations Aztèque, Maya, Inca, ainsi que des diverses cultures nomades d’Amazonie.


C’est en 1974 aux États-Unis que les hypothèses autour de la théorie de Clovis allaient subir un premier revers. Des fouilles réalisées à Meadow Rockshelter, en Pennsylvanie, ont révélé l'existence d' outils fabriqués par des humains il y a 14200 ans. Dès lors, et tout comme de nombreuses autres révélations incompatibles avec la théorie de Clovis, ces nouvelles découvertes étaient reçues avec scepticisme et les résultats de ses datations contestées.

De fait, en 1979, l’archéologue franco-brésilienne Niède Guidon découvrait dans l’État brésilien du Piaui, au sein des massifs montagneux de la Serra da Capivara, des peintures rupestres ainsi que des objets en pierre taillée vieux de près de 20000 ans. De l’avis de Niède, les populations paléo-américaines de la Serra da Capivara seraient venues d’Afrique il y a environ 100000 ans et auraient rejoint le Piauí par le delta du Paraiba. Les traces de charbon trouvées sur ces murs, datées de 48000 ans avant le présent, seront quant à elles ignorées puisqu’étant prétendument le résultat naturel de feux de forêts.


Aussi en 1976, l’archéologue américain Tom Dillehay faisait une autre découverte d’outils datés de 12500 ans à Monte Verde, dans le Sud du Chili, à plus de 15000 km de l’Alaska. Conscient du scepticisme récurrent au sein du monde académique et autour de qui pourrait valider ou non la théorie de Clovis, Dillehay invitait les archéologues les plus conservateurs à venir faire eux-même l’analyse des fouilles chiliennes sur place. Bien plus tard, en 1997, les découvertes et les datations faites seront définitivement validées.


Depuis, les avancées des recherches autour des théories sur l’origine du peuplement des Amériques se sont transformées en un véritable puzzle.

De nouvelles théories sur l’origine des anciennes civilisations amazoniennes

Ces dernières années, les progrès en génétique et en géologie ont transformé l’archéologie. Des études comparatives de l’ADN faites sur les populations indigènes américaines ainsi que sur des populations européennes et asiatiques ont ainsi démontré que les seuls individus possédant des lignées mitochondriales similaires à celles des natifs-américains provenaient de Sibérie méridionale. Cette découverte a confirmé que les populations amérindiennes provenaient d’Asie, mais elle invalide la chronologie avancée par le partisans du Clovis First : en effet, l’analyse des mutations génétiques à partir de ces mêmes prélèvements révélaient que ses migrations en provenance d’Asie avaient eu lieu entre 25000 et 15000 avant aujourd’hui. 


Actuellement, deux hypothèses pré-clovis divisent les archéologues. L’une, qui prend en compte l’analyse historique du niveau des océans et des banquises au Groenland nous montre qu’entre 22000 et 19000 ans avant le présent, un refroidissement global faisait augmenter les volumes de glace autour des pôles et entraînait une baisse du niveau des mers de presque 100 m. En résultait l'émergence de la Béringie, langue de terre située aux confins du nord-est asiatique et du nord-ouest des Amériques, aujourd’hui sous les eaux. Selon cette thèse, ce serait donc déjà à cette époque et grâce à un climat plus doux que les premiers paléoaméricains auraient réussi à migrer d’Asie en Amérique, par la route.


D’un autre côté, une deuxième ligne d’études considère plus plausible que des migrations puissent avoir été entreprises par la mer et par bateau jusqu’au Chili. Il n’y a cependant aucune trace témoignant de l'existence d’embarcations maritimes à la préhistoire sur la côte pacifique, si ce n’est la découverte par l’archéologue Jon Erlandson en 2011 de harpons et de flèches vieilles de 12000 ans, sur l’île de Santa Rosa, à environ 10 km au large de la Californie du Sud. De plus, les partisans de l’hypothèse de la migration par bateau rappellent que l’Australie fut occupée il y a 45000 ans déjà par des navigateurs asiatiques.

Peinture murale au Parc National Serra Capivara - Brésil
Peinture murale à Serranía la Lindosa - Colombie


La théorie de Clovis sera à nouveau remise en question en 1986 avec de nouvelles découvertes faites en Amazonie colombienne, dans le parc national de Chiribiquete. À l’époque, l’archéologue Carlos Castaño y trouve des peintures rupestres datées de 19000 ans avant notre ère ainsi que d’autres réminiscences dans la Serra da Lindosa. Mais c’est seulement en 2016, après la démobilisation des Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (FARC) qui occupaient la région jusque là, que le parc est ouvert pour des recherches plus approfondies. Le documentaire Jungle Mystery nous montre justement des études réalisées en 2019 sur des peintures réalisées il y a 12500 ans. Et à l’archéologue Carlos Castaño d’en ajouter un peu plus à la controverse en déclarant que les paléoaméricains de Colombie “étaient entrés en Amérique par le Sud".


Récemment, en 2010, dans la grotte de Chiquihuite au Mexique, on trouvait des outils en bois supposément datés de 30,000 ans avant aujourd’hui. En 2011, c’est au Texas, sur le site de Buttermilk Creek, que des chercheurs auraient également mis au jour des artefacts vieux de plus de 15000 ans. Il existe cependant des doutes persistants en ce qui concerne des peuplements comme celui découvert à Chiquihuite du fait qu’il n’aurait laissé aucune autre empreinte. De plus, les datations particulièrement anciennes suscitent souvent la controverse et nécessitent des examens plus poussés quand par exemple les processus naturels d’érosion transforment l’apparence d’objets naturels à tel point qu’au fil du temps, ils en viennent à s’apparenter à des artefacts, des objets fabriqués par l’homme.

L’Amazonie et les premiers américains

Au cœur de la forêt amazonienne, les variations climatiques ainsi que les phénomènes d’érosion liés à la pluie entraînent une lente dégradation des traces et autres artefacts sur des sites archéologiques potentiels. Ceci n’a pas empêché l’anthropologue Anna Roosevelt de découvrir en 1992, dans une caverne de l’État du Pará, à Monte Alegre, les traces d’une activité humaine vieille de 11200 ans.

Jusqu’alors, la plus ancienne preuve de la présence humaine au Brésil était le crâne de Luzia daté de 11000 ans et découvert en 1975 par l’archéologue française Annette Emperaire. Initialement conservée à Lagoa Santa, dans l’État de Minas Gerais, la relique fut par la suite analysée et transférée au Musée National de Rio de Janeiro par l'archéologue Walter Neves en 1995.

Avant la découverte de la Pedra Pintada à Monte Alegre, les plus anciennes traces témoignant de la présence humaine en Amazonie étaient des céramiques trouvées sur l'île de Marajo. Curieusement, les motifs présents sur ces céramiques sophistiquées de la culture Ananatuba et datées de 980 avant j.c rappellent fortement ceux des cultures Andines.

Selon l’anthropologue Anna Roosevelt, que ce soit sur l’île de Marajo ou dans les environs de la rivière Tapajós, à cette époque, les peuplements étaient organisés en “caçicados”, agglomérations où des techniques agricoles sophistiquées permettaient de faire vivre des populations allant jusqu’à 100000 habitants, maîtres dans l’art de la céramique.

L’archéologue Betty Meggers trouve cela improbable. Selon elle, les sols peu fertiles du bassin amazonien ne permettrait ni l’expansion démographique ni le développement matériel de civilisations complexes. Tant est si bien que selon elle, les sols appauvris auraient forcés les ancêtres caribéens des Ananatuba à en partir, ce qui aurait provoqué un déclin culturel aboutissant à la disparition des savoirs faire raffinés, notamment leur céramique. Et si en Amazonie les rudes conditions climatiques ne suffisaient pas, la violente colonisation portugaise a entraîné la disparition de populations entières et de de leurs cultures.

Burial urn, Marajoara culture,  ©American Museum of Natural History

Le mystère autour de la première civilisation des Amériques est donc bien d’être élucidé.

¹ Le documentaire “Jungle Mystery: Lost Kingdoms of the Amazon' (Les mystères de la jungle : royaumes oubliés d’Amazonie) a été réalisé par une agence de production indépendante et diffusé sur la chaîne de télévision Channel 4.

Coup de projecteur sur le Brésil

Tous les mois, Story Productions propose un coup de projecteur sur le Brésil avec Ricardo Arnt, auteur et journaliste brésilien de plus de 40 ans d’expérience. Ancien rédacteur en chef pour la revue mensuelle Planeta et pour la chaîne de télévision Bandeirantes TV, il a aussi été éditeur pour la revue Exame, le quotidien Folha de São Paulo, mais aussi pour la revue Superinteressante et les sujets à l’international du journal du soir à TV Globo.

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