Coup de projecteur sur le Brésil : “São Felix do Xingu: champion des émissions de gaz”

Ricardo Arnt • Jul 09, 2021

La forte augmentation des cheptels de bétail à São Félix do Xingu a mis cette municipalité amazonienne en tête de liste des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre au Brésil, avec des quantités dépassant celles émises par tout un pays comme le Chili

Dotée d’une faible activité industrielle et d’un trafic automobile très réduit, la municipalité de São Félix do Xingu, dans l'État amazonien du Pará, est dorénavant la municipalité brésilienne qui émet la plus grande quantité de gaz à effet de serre. Cela serait directement lié à la transformation des forêts en pâturages destinés à l’exploitation de près de 2,5 millions de têtes de bétail. Sur les bords de la rivière Xingu, la ville de São Félix, entourée par de vastes territoires indigènes et des réserves naturelles où l’État n’exerce quasiment plus son contrôle, est littéralement devenue l’épicentre de la déforestation non seulement en Amazonie, mais aussi au Brésil comme un tout.


Une étude publiée par l’ONG
Observatório do Clima (Observatoire du climat) a fait l’analyse inédite et révélatrice d’une collecte de données répertoriant les émissions de gaz à effet de serre de chacune des 5570 municipalités brésiliennes. Des dix municipalités ayant le plus contribué au dérèglement climatique entre 2000 et 2018, sept sont localisées en Amazonie. Les trois municipalités restantes sont les deux mégalopoles São Paulo et Rio de Janeiro, ainsi que la ville de Serra, dans l’État de l’Espirito Santo, pôle industriel métallurgique.

A map of the Amazon Rainforest and São Feliz do Xingu

C’est que depuis 2004, le Brésil est le 1er exportateur mondial de viande bovine, et São Félix do Xingu, ville de 130000 habitants dispersés sur 84000 km2 de forêts et de pâturages est aussi et surtout le foyer du plus vaste cheptel bovin du pays. L’étude de l’Observatório do Clima nous montre qu’en 2018, la municipalité a émis l’équivalent de 29,7 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère.



Les causes de ce chiffre : le déboisement bien sûr, mais aussi les immenses élevages de bovins dont la digestion produit d’énormes quantités de méthane. L’étude a aussi fait l’analyse d’une centaine de sources éventuelles d’émissions de GES des divers secteurs d’activités : l’énergie, le transport, l’industrie, l’agriculture, le traitement des déchets, ainsi que la conversion de l’usage des terres et des forêts.

Au Brésil, les causes principales du dérèglement climatique sont le déboisement et l’élevage intensif de bovins. Seuls la Chine, les États-Unis, l’Union Européenne, l’Inde et la Russie émettent plus de gaz à effet de serre (GES) chaque année. Et selon un classement élaboré par le World Resources Institute, si São Félix do Xingu était une nation, sa position dans ce classement serait plus élevée que celles de l’Uruguay, de la Norvège, de la Croatie, du Costa Rica ou du Panama.
Mais ces quantités de gaz émis à São Félix seraient encore plus élevées sans les étendues de forêt toujours maintenues dans la région. En effet, la végétation native absorbe environ 10 millions de tonnes de CO2 chaque année. Des étendues de forêt abritant depuis des siècles différents groupes indigènes tels que les Kayapó, les Arara, les Parakanã, les Araweté et les Asurini.


Fondée en 1900, São Félix a déjà été un important producteur de caoutchouc (jusqu’en 1914) et de noix du Brésil. En 1958, l’ouverture de la route Belém-Brasília a attiré vers la région des milliers de migrants en provenance du Nord-Est du pays, marquant le tout début d’une longue période de défrichage, de feux de forêts, d’établissements de fermes, ainsi que la multiplication de troupeaux de bovins, notamment de boeufs d’origine asiatique, de type zébu.


Dans une région très peu active commercialement et plutôt dépourvue d'infrastructures, l’élevage de bétail est rapidement devenu l’activité la moins chère, la plus simple et la plus rentable de toutes les activités économiques prédatrices. Les bœufs savent nager, ils n’ont pas besoin de ponts. Plus tard, en 1976, c’est suite à l’ouverture de la route PA-279 reliant São Félix à Xinguara qu’un nouveau flux de migrants allait faire se multiplier les cheptels mais aussi la déforestation, un modèle économique qui s’est consolidé jusqu’à nos jours.


Cette expansion des activités d’élevage s’est fortement accélérée ces dernières décennies et les forêts disparaissent peu à peu. Entre 2000 et 2018, le cheptel présent sur le territoire de la municipalité a subi une augmentation de 231%, passant de 682000 à 2,2 millions de têtes de bétail, dont 300000 de plus rien qu’entre 2019 et 2021.


Au cours de la seule année 2019 par exemple, 9200 km2 de forêts ont disparu à São Félix (10% de sa superficie), ce qui équivaut à environ un tiers de toutes les terres déboisées dans toute l’Amazonie sur la période. De fait, le nombre de têtes de bétail dans la municipalité représente à peu près 200 fois le nombre de ses habitants et il en résulte aussi que dans l’État du Para, sur un total de 114 municipalités, São Felix occupe la 19ème position en termes de PIB par habitant. Par conséquent, afin de réconcilier économie et environnement, de nombreux efforts y sont entrepris afin de réduire les émissions de GES en limitant le déboisement, en introduisant des techniques pour l’entretien des sols, ou en adoptant des méthodes de production plus écologiques.


Dans la série de notre “Coup de projecteur sur le Brésil”


Un champ déboisé avec du bétail marchant en ligne

“Au Brésil, les causes principales du dérèglement climatique sont le déboisement et l’élevage intensif de bovins. Seuls la Chine, les États-Unis, l’Union Européenne, l’Inde et la Russie émettent plus de gaz à effet de serre chaque année”

On peut citer notamment un projet expérimental mis en place dans la région par l’ONG Imaflora montrant que fertilisation des sols et intégration de systèmes forestiers - ici, pour les besoins de l’étude, des plantations de cocotiers - aux pâturages peuvent apporter une réduction de l’ordre de 66% des émissions de GES/hectare.


Récemment, l’organisme brésilien de recherche en agronomie EMBRAPA (Empresa Brasileira de Pesquisa Agropecuária) a quant à elle développé des techniques permettant de récupérer les sols dégradés par le bétail : En plantant des arbres ainsi qu’en adoptant des pratiques de sylvopastoralisme, les chercheurs ont réalisé la prouesse d’augmenter les stocks de bétails de l’ordre de 120% sans que ne soit supprimé ne serait-ce qu’un hectare de forêt supplémentaire, apportant ainsi des alternatives fructueuses pour les éleveurs.


"De fait, le nombre de têtes de bétail à São Félix représente à peu près 200 fois le nombre de ses habitants"


Renata Potenza, coordinatrice pour le climat et l’agriculture à l’Imaflora, soutient que l’agriculture amazonienne “a toutes les armes pour réduire les émissions de GES et prendre en compte ses besoins d’expansion.” En effet, l’organisation a la ferme intention de mettre en place son programme “Forêts de valeur”, en prônant la réduction des émissions de GES tout en améliorant la productivité des activités agricoles, que ce soit à São Félix ou dans toute la région située au Nord de l’Amazone.

Côte à côte, un champ déboisé et une forêt

Selon Renata, l’initiative prise pour mesurer ces émissions dans chacune des municipalités brésiliennes est “une avancée importante afin de comprendre les opportunités dont dispose le secteur agricole pour faire face à l’urgence climatique et opérer la transition vers une agriculture à faible émission de carbone.” Selon l’EMBRAPA, il existe environ 610000 km2 de pâturages en Amazonie, une aire plus grande que la France ou le Kenya. Du total de ces terres, près de la moitié est dégradée, appauvrie ou érodée.

"l’agriculture amazonienne a toutes les armes pour réduire les émissions de GES et prendre en compte ses besoins d’expansion”

Cette année, le niveau d’émissions de GES à São Félix do Xingu a été publié au même moment où le Sénat Brésilien discutait le projet de loi 510/21, proposant la régularisation de propriétés clandestines situées sur des terres publiques en Amazonie, ce qui évidemment ouvrirait la porte à d’autres invasions. En avril, sous le feu des critiques, le projet commençait à être débattu et après quelques jours, une trentaine de multinationales incluant grandes chaînes européennes de supermarché et de l’agroalimentaire, comme Tesco, Sainsbury, Aldi et Marks & Spencer, publiaient une lettre critiquant le projet de loi 510/21 et menaçant de boycotter les produits agricoles brésiliens. Malgré tout, la pression sur les forêts brésiliennes n’en finit pas d’augmenter.

Coup de projecteur sur le Brésil

Tous les mois, Story Productions propose un coup de projecteur sur le Brésil avec Ricardo Arnt, auteur et journaliste brésilien de plus de 40 ans d’expérience. Ancien rédacteur en chef pour la revue mensuelle Planeta et pour la chaîne de télévision Bandeirantes TV, il a aussi été éditeur pour la revue Exame, le quotidien Folha de São Paulo, mais aussi pour la revue Superinteressante et les sujets à l’international du journal du soir à TV Globo.

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